Les mots donnent le sens du futur
Sentience : un mot à connaître et employer sans modération !
C’est seulement dans les années 1980 que les scientifiques ont consenti à admettre ce que tout propriétaire de chat ou de chien, tout berger ou philosophe avaient constaté, l’existence de la conscience animale. Si la douleur des animaux, avec sa reconnaissance, son évaluation, sa prise en charge et sa prévention, a été au début du concept de la sentience des animaux, la définition du mot sentience élargit le champ des compétences des animaux jusqu’à parler de leur conscience, du ressenti qu’ils ont de leurs émotions et d’une souffrance véritable.
Emotions partagées, sans frontière entre les espèces
Le mot sentience, utilisé dès 1789 par Bentham, n’est apparu que récemment dans le vocabulaire des scientifiques, avec la traduction beaucoup trop réductrice d’être sensible, qui fait perdre 75% du sens originel. La définition du mot sentience implique un spectre très large d’au moins cinq degrés émotionnels puisqu’un être sentient est capable d’évaluer les actions des autres en relation avec les siennes et de tiers, de se souvenir de ses actions et de leurs conséquences, d’en évaluer les risques et les bénéfices, de ressentir des sentiments et d’avoir un degré variable de conscience*.
En clair tout comme les animaux, nous sommes des êtres sentients, qui exprimons nos émotions selon la couleur de nos compétences sensorielles – l’humain peut être un grand bavard, comme l’est aussi un perroquet, un merle ou une pie. Alors que le chat sera sensible au monde des odeurs, à celui des subtilités de luminosité, tout comme la vache qui peut se braquer devant une flaque qui l’éblouit. Dans nos cerveaux, lorsque nous avons la chance d’être en bonne santé, les émotions jaillissent et nous construisent, les uns avec les autres, humains et animaux. Certains chats n’oublient jamais les traumatismes de l’abandon, comme certains chiens reconnaissent entre mille les odeurs des jumeaux de la famille où ils vivent, tout comme certains d’entre nous tressaillent de joie en entendant le timbre de la voix de leur chanteur préféré ou de l’amour de leur vie.
Biodiversité de l’expression des émotions
Tous les concepts de sentience et de bien-être ouvrent le champ de l’éthique et de la morale, à laquelle certains animaux ont accès, notamment avec des comportements altruistes. Nous avons tous vu un animal porter assistance à un autre, de son espèce ou pas, gratuitement, par affection, témoignant d’abnégation, de solidarité, pour ne pas laisser un des siens sur le bord de la déroute. Les familles d’orques sont, par exemple, fort soudées et organisées; elles se relayent pour éduquer un juvénile.
Les animaux ne sont certes pas dotés de nos capacités verbales, ce qui ne les empêche pas d’exprimer leurs émotions autrement. 0n peut s’interroger sur notre incapacité à les comprendre pleinement. Les oiseaux émettent des sons, souvent trop rapidement étiquetés de chants ce qui les réduit à une fonction exclusivement esthétique; encore trop incompréhensibles pour nous, ces « chants » sont certainement autant de messages à décoder dans les contextes précis dans lesquels ils sont émis. De la même façon, le monde des odeurs, dans lequel chiens et chats naviguent avec allégresse, a certainement ses codes, symboles et sa grammaire qui nous échappent, tout comme la signification des « chants » des baleines ou des échanges de bulles et de sons entre les dauphins, tous doués de sentience.
Un nouveau mot qui en dit long
Un collectif de 12 associations de protection animale et de plusieurs chercheurs a demandé à l’Académie Française le 15 décembre 2015 l’entrée au Dictionnaire de ce beau mot, riche de sens. Mais pour y accéder il doit d’abord entrer dans notre usage et notre vocabulaire. Alors utilisons-le largement et en pleine conscience de ce qu’il signifie. En reconnaissance des compétences des animaux qui nous entourent, écrivons et parlons de la sentience, que nous partageons avec eux !
*définition donnée par Donald Broom, auteur de Sentience and Animal welfare, CABI, 2014
Dr Anne-Claire Gagnon, vétérinaire & comportementaliste pour chats
Astrid Guillaume, Sémioticienne, Maître de conférences, HDR, Université Paris IV Sorbonne, membre du comité scientifique de la LFDA
Le 10 Juillet 2017